- amelieboissel
Réaliser un film sur son Histoire, mes premiers apprentissages
Le week-end dernier, je suis retournée en Normandie pour continuer le tournage de mon film.
Pour ceux et celles qui ne sont pas au courant, j’ai comme projet de réaliser un film qui explique et transmet l’histoire de la maladie de mon papa : la bipolarité. Je veux montrer ce que c’est que de grandir avec un père bipolaire, les liens qui s’étiolent ou qui se renforcent dans une même famille, les mémoires que les anciens transmettent, le rôle des émotions. Pleins de choses qui me tiennent à coeur.
J’en suis à mon troisième mois de tournage et j’ai déjà de la matière. Il me reste beaucoup de travail car je souhaite rencontrer des professionnels, en savoir davantage sur des concepts et creuser encore et encore. Jouer l’enquêtrice quoi.
Chaque mois donc je passe deux jours environ avec mon père, la caméra à la main et le micro allumé pour capter. Capter son environnement, capter ses messages, capter ses émotions.
Ce qui est intéressant c’est que j’endosse un rôle un peu particulier. Je suis la fille et en même temps la réalisatrice. Dès que je suis avec lui, j’essaye d’être la plus objective possible et la plus lisse car un bipolaire passe par de nombreuses émotions et le tout est de ne pas se faire haper par cela (et quand on n’est pas paré à affronter cette déferlante d’émotions, notre empathie peut vite nous faire dérailler).
Le problème dans cette froideur que j’incarne, dans cette protection émotionnelle, c’est mon frère qui me l’a souligné.
En effet, le dernier soir, ma soeur nous invite à manger et en fin de soirée on en vient à regarder ce que j’ai déjà filmé.
Mon frère et ma soeur regardent donc ces images et à la fin tous les deux ont des réactions différentes.
Ma soeur trouve cela très « juste » dans le sens où mes images reflètent la réalité.
Mon frère lui est plus dubitatif voir même en colère. Il me fait comprendre que je ne montre que le négatif, que l’aspect maladie de mon père.
Il me dit « tu le salis ».
Et sur le moment, je lui ai dit « mais c’est ça la maladie ». C’est quelque chose de sale. C’est quelque chose qui salit papa.
Dans ce même week-end ma grand-mère paternel me prête un livre qui explique la bipolarité aux personnes qui vivent de près ou de loin cette maladie.
Dans ce livre, il est expliqué que très souvent, la personne qui est malade n’est désormais vue plus que comme ça. Un malade.
Sauf qu’avant d’être malade, cette personne est avant tout un humain, une humaine.
Et là dans mon cerveau j’ai compris ce que mon frère voulait me dire.
Il m’a dit :
« Amélie, ok il est malade, mais s’il te plaît ne montre pas uniquement cette partie si sombre qui l’habite, montre que toute personne malade n’est pas sa maladie mais avant tout une personne, une âme, montre ce qu’il y a de beau chez lui ».
Et là BAM, je réalise que mon frère a raison et qu’il m’a aidé à prendre conscience de quelque chose d’important dans la suite de ce film (et surtout du lien que j'entretiens avec mon père).
Mon père est une personne malade et je souhaite montrer cette maladie, la disséquer en quelque sorte, l’expliquer avec des faits. Sauf qu'à force de trop vouloir montrer cela, mon regard n'est plus juste car ce n’est plus mon père que je raconte c’est la maladie. La maladie a pris l’image de mon père. Et la partie la plus dure c’est de sortir de cette image là pour aller chercher celle de Pierre derrière toutes les couches de colère, de tristesse, de peur et d’incompréhension que j'ai empilé et qui l'ont petit à petit effacé de mon esprit.
Montrer sa maladie oui mais ne surtout pas enlever cette part d’humanité qui permet de créer cette fameuse empathie car elle est garante de la connexion avec l'autre.
Mais alors, quand on ne reconnaît plus son père, comment faire pour ne pas enterrer la relation ?pour au contraire construire quelque chose de nouveau ? Comment ouvrir l’espace d’un instant ses barrières que l’on a érigé pendant des années pour retrouver l’amour ?
Là, se trouve mon prochain challenge.
Construire une nouvelle relation avec mon père car je sais que je ne pourrai pas retrouver celle que j’avais avec lui petite. La maladie est là désormais et pour toujours. Et je ne veux plus non plus couper les ponts et l'éloigner le plus possible de ma vie alors mon challenge est de créer une relation plus viable et plus saine tout en acceptant sa maladie.
Le film a commencé avec cette vidéo que j'ai tourné dans la voiture juste avant de partir chez mon papa.